Concernant les métiers de l’hôpital, les réingénieries se multiplient. Ainsi les référentiels de formation sont rediscutés. Ce fut le cas pour la formation infirmière en 2009, revisitée pour une deuxième fois depuis le début de l’année. En 2023, les aides-soignants ont vu, à l’issue du processus de réingénierie, leur champ de compétence élargi et une reconnaissance en catégorie B. Les métiers de technicien de laboratoire, de préparateur en pharmacie et de diététicien passent également sous les fourches caudines de la réingénierie. Officiellement, il s’agit de faire entrer nos formations professionnalisantes dans le cadre défini par le processus de Bologne, dit LMD (Licence, Master, Doctorat) dont l’objectif est une harmonisation des diplômes de l’enseignement supérieur, une mobilité facilitée des étudiants dans les états signataires, une reconnaissance des durées d’étude par un système de comptage commun. A l’observation, les étudiants dans nos métiers du soin sont très peu nombreux à solliciter cette mobilité, suivant leur formation dans l’institut d’admission et pour la partie pratique dans les établissements conventionnés. L’intérêt est ainsi pour le moins discutable, et l’objectif est à chercher ailleurs. Notons pour le principe que les études médicales restent hors cadre puisque n’émerge toujours ni la licence, ni le master en santé. Le passage d’une logique de numérus clausus à celle de l’apertus[1] s’il améliore à la marge le nombre d’admis en deuxième année, ne traduit pas le changement de paradigme pourtant nécessaire pour répondre à la demande.

Dans ce contexte qui bouscule quelque peu notre champ d’intervention. Parce que le constat est compliqué d’un accès aux soins dégradé, de ces 6 millions de nos compatriotes qui sont sans médecin traitant, d’un abandon par la médecine de ville de l’activité de garde et de week-end, de l’échec de la médecine libérale dans la prise en charge des soins non programmés, le gouvernement prend des mesures qui toutes répondent de la même logique, faire faire par moins qualifiés ceux que les médecins faisaient jusqu’à lors. La chasse au temps médical est ouverte de la coopération interprofessionnelle de santé (Art.51 de la loi HPST) à l’émergence de métiers dit intermédiaires dont l’infirmière en pratique avancée reste l’emblématique exemple. De la même manière, les réingénieries dans ce qu’elles valident de nouvelles compétences et actes professionnels participent de cette même logique, dégager du temps médical

Ces mesures n’ont d’impact véritable qu’à court terme et puisque pensées ainsi ne peuvent être en soi des solutions pérennes aux défis de santé de notre société. Nous devons tous nous emparer du sujet en commençant par constater le caractère conservateur de ces mesures qui ne viennent que conforter la domination médicale sur les autres métiers du soin. Les médecins continuent de contrôler le niveau de savoir des « paramédicaux », décidant de ce qui leurs sera enseigner ou pas dans l’objectif plus ou moins avoué de limiter l’émancipation de ces derniers. Ils veillent à protéger leur situation monopolistique sur le secteur sanitaire et l’universitarisation de nos formations, prescrite par le processus de Bologne, leurs donne l’opportunité d’accroitre ce pouvoir parce que l’université reste très peu investie par les paramédicaux par ailleurs.

S’il y a bien des tentatives de « professionnalisation » du nos métiers à travers l’émergence des ordres, l’adoption de codes de déontologie entre autres, la filière reste néanmoins bloquée s’agissant de l’acquisition de savoirs complexes ou abstraits, c’est-à-dire non accessibles à tous, plus encore concernant l’enseignement par nos pairs qui se voit contrarié dans ce cadre. Si nous retrouvons ici, les bases du débat entre fonctionnalistes et interactionnistes, peut-être se dire que le contexte est propice à le réouvrir pour le moins. Un débat où, nous participerions, nous paramédicaux, et y défendrions nos intérêts pour une fois. Ce serait là un premier pas vers plus de démocratie dans la gestion de nos métiers, certes et par extension dans la gestion de l’hôpital plus généralement.  

Les réingénieries des métiers de l'hôpital, bien qu'intentionnées pour aligner les formations sur le processus de Bologne et favoriser la mobilité des étudiants, montrent des bénéfices limités en pratique. Les transformations récentes, comme l'élargissement des compétences des aides-soignants et l'inclusion de nouveaux métiers sous ce processus, semblent davantage répondre à des besoins immédiats de gestion du temps médical qu'à une véritable évolution structurelle. La faible mobilité des étudiants en soins et la préservation de la domination médicale sur les professions paramédicales soulignent les limites de ces réformes. Ainsi, bien que les réingénieries puissent apporter des solutions temporaires, elles ne suffisent pas à répondre aux défis de santé à long terme. Il est crucial que nous hospitaliers non médicaux puisque c’est encore ainsi qu’on nous qualifie prenne une position plus active pour revendiquer des changements profonds et durables, permettant une véritable émancipation et valorisation de nos métiers paramédicaux au sein du système de santé.

 

[1] Numerus apertus est une expression qui vient du latin et qui signifie « nombre ouvert »



les réingénieries des métiers de l'hôpital