Bientôt en débat au Parlement, le projet de loi sur l’aide à mourir ouvre l’espoir pour de nombreux malades incurables de pouvoir choisir leur mort. Mais par les conditions qu’il édicte, il laisse de nombreuses questions en suspens. La première d’entre elle : sera-t-il vraiment applicable ? Analyse et opinion.
Enfin, après avoir consulté très largement, hésité et reporté plusieurs fois le projet de loi sur la fin de vie, le président Macron a dévoilé, dans un entretien le 11 mars dernier aux journaux La Croix et Libération, les grandes lignes et le calendrier de cette dernière grande loi sociale et progressiste réclamée par plus de deux Français sur trois.
Une loi de fraternité, nous dit le président, qui va permettre à chaque citoyen d’avoir la possibilité d’être aidé à mourir. Sous certaines conditions, « strictes », prévient-il, comme pour calmer les oppositions. Il ajoute que cette loi ne créera ni un droit nouveau, ni une liberté, mais trace un chemin possible. Beaucoup de prudence dans la manière d’avancer les éléments de langage. On l’aura compris, Emmanuel Macron n’est pas à l’aise avec le sujet de la fin de vie et la promesse de sa campagne 2022 de légiférer sur l’aide à mourir. Et pourtant, les sondages le disent depuis des années, les Français sont prêts. Près de neuf Français sur dix, selon l’institut Ipsos en 2022, se prononçaient en faveur d’une loi légalisant l’aide active à mourir, des résultats corroborés par ceux des 184 citoyens de la Convention citoyenne qui ont travaillé pendant trois mois au Conseil économique social et environnemental, et se sont déclarés à plus de 75 % en faveur de l’ouverture du droit à être aidé à mourir. Cela ne signifie pas que 9 Français sur 10 vont le faire mais qu’ils veulent avoir le choix de le faire ou non, en liberté et jusqu’au bout, fraternellement accompagnés.
Si Emmanuel Macron a tant retardé l’annonce de cette loi, en dépit de l’opinion des Français déjà acquise à l’idée, c’est que les oppositions sont fortes et notamment du côté des représentants des soins palliatifs, qui portent une voix virulente contre l’aide à mourir, prétextant que donner la mort n’est pas un soin, que le soignant ne peut tuer, et qu’il faut développer les soins palliatifs sur tout le territoire avant toute chose, ce qui, selon eux, suffirait à résoudre le problème du mal-mourir en France.
Les voix progressistes favorables à l’aide à mourir ne disent pas autre chose, mais savent que les soins palliatifs ne peuvent pas tout. Le président est sensible à la nécessité de développer les soins palliatifs et y répond en faisant l’annonce d’une enveloppe de 1 milliard pour le développement des soins palliatifs, renommés « soins d’accompagnement », ce qui est une bonne chose mais qui prendra du temps. Aujourd’hui, deux Français sur trois nécessitant un transfert en unité de soins palliatifs n’y ont pas accès et 80 % des décès à l’hôpital ont lieu dans des services de soins curatifs. Mais la loi tant attendue sur l’aide à mourir est source d’inquiétudes pour les voix progressistes, car certaines conditions pourraient la rendre très difficilement applicable. Notamment le critère du pronostic engagé « à court ou moyen terme », tous les médecins s’accordant à dire qu’il est impossible à poser avec exactitude. La responsabilité sur les médecins serait donc bien grande, et on comprendrait leurs réserves à poser un tel pronostic, forcément hypothétique, pour engager une vie humaine. Car à vrai dire, la décision ne doit pas être la leur, mais uniquement celle de la personne malade qui doit être validée par le médecin en fonction de conditions objectives et donc indiscutables. Cette condition du moyen terme est justement très discutable. Par ailleurs, elle laisserait sur le carreau de nombreux malades atteints de maladies neurodégénératives. D’autant plus que le projet exclut d’emblée les personnes n’ayant plus, au moment de la demande, leur « discernement plein et entier ». Une autre condition complexe à évaluer. On peut alors se demander, à quoi servent les directives anticipées ?
Un autre point qui est à regretter dans le projet de loi, c’est le fait que le malade soit obligé de s’auto-administrer la substance létale, sauf s’il en est physiquement incapable. Faire ce geste peut être source d’angoisse pour une personne déjà diminuée par la maladie, et certains soignants aimeraient pouvoir les soulager de cela et faire eux-mêmes un ultime geste médical, mais surtout solidaire et fraternel. Liberté, égalité, fraternité, notre devise républicaine est une utopie mais aussi une boussole pour nous guider un peu dans ce débat qui mélange des enjeux éthiques, philosophiques et sociétaux.
Liberté, de choisir sa mort quand on se sait condamné par la maladie. Cette loi doit être celle de cette ultime liberté, n’en déplaise au Président qui précise qu’il ne s’agit « ni d’une liberté ni d’un droit ». Égalité, car aujourd’hui la loi est inégalitaire, en obligeant des citoyens français qui en ont les moyens à partir mourir à l’étranger. Espérons que la future loi ne soit, elle, pas inégalitaire, et ouvre à tous les malades incurables les mêmes droits. Fraternité, « cette loi est une loi de fraternité », assène le Président. Sur cela, nous lui donnons raison, car nous, soignants et humanistes, savons bien qu’aider à mourir une personne pour qui la vie n’est plus que souffrance, c’est avant tout répondre à notre devoir de fraternité.